Rédaction
27 mars 2003

Du journaliste qui dit "nous" pour évoquer l'avancée des troupes américaines en Irak au clip martial entre deux reportages, les chaînes de télévision américaines affichent leur patriotisme, au risque d'être accusées d'entorses à la déontologie. La chaîne d'information en continu MSNBC, filiale de NBC et de Microsoft, diffuse régulièrement, après des photos de soldats dans le soleil couchant, d'hélicopères en vol et de bannière étoilée au vent, cette phrase en blanc sur fond noir: "Nos coeurs sont avec vous". Une autre chaîne câblée, CNBC, préfère afficher: "Nous souhaitons à nos troupes un retour sain et sauf dans leurs foyers". Présentateurs et journalistes de la chaîne câblée Fox News, très conservatrice, affichent sans ambages leur soutien aux troupes et à leur cause. Sur les quatre grandes chaînes hertziennes, regardées par une majorité d'Américains, les images montrant des civils ou des blessés irakiens sont rares. En revanche, les reportages montrent à l'envi depuis des semaines les GI's à l'entraînement, puis en action depuis six jours. A l'image, les journalistes sont souvent en treillis. Dès la capture des premiers prisonniers de guerre américains, les interviews de leurs familles sont partout. Au détour de phrases, les présentateurs laissent poindre leurs sentiments patriotiques. "Ils se considèrent comme des médias américains couvrant une guerre dans laquelle l'Amérique est impliquée" explique Alex Jones, directeur du Joan Shorenstein Center on the Press de l'université de Harvard. "Ils ont fait le calcul qu'ils veulent démontrer leur soutien aux buts de l'Amérique, et sont prêts à payer pour cela le prix journalistique de n'être pas perçus comme complètement neutres". Pour Geneva Overholser, professeur à l'école de journalisme de l'Université du Missouri, les médias américains, et tout spécialement audiovisuels, ont franchi là une ligne rouge. "Cela va directement au coeur de votre crédibilité", assure-t-elle. "Vous êtes supposés présenter les faits équitablement et sans favoritisme. Ce n'est pas bénin: si on suppose que la presse doit être impartiale, cela doit-il cesser d'être le cas en temps de guerre ? Je ne le crois pas". "Ils pensent sans doute qu'ils vont gagner les faveurs du public, mais ils le feront en violant un principe journalistique primordial, qui dit que vous n'êtes pas censé adopter quelque point de vue que ce soit". Dans un récent éditorial, la journaliste du quotidien new-yorkais Newsday Sheryl McCarthy écrivait: "Les programmes d'information sur les grandes chaînes ne couvrent pas la guerre, ils en font la promotion. Leur message est que les Etats-Unis sont forts et dans leur droit, que nous nous préparons à donner à Saddam une bonne râclée et que quiconque s'y oppose est suspect". Experts et observateurs des médias américains font remonter au 11 septembre 2001, et à la tragédie nationale constituée par les attentats terroristes, cette propension des chaînes de télévision à afficher comme jamais auparavant leur soutien à la riposte américaine. "Nous assistons à cela de plus en plus depuis le 11 septembre" assure Rachel Coen, de l'ONG Fairness and Accuracy in Reporting, spécialisée dans l'étude et la critique de la presse. "Cela existait auparavant, mais cela s'est largement amplifié. Des rédactions ont commencé à draper leurs reportages dans les couleurs du drapeau". "C'est devenu une constante depuis le 11 septembre" renchérit Geneva Overholser: "Nombreux sont ceux dans les médias qui confondent leur patriotisme ravivé avec leur devoir journalistique".

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