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5 questions à Jean-Jacques Dordain, Directeur général de l'ESA

Rédaction
10 mars 2014 à 12h14

5 questions à Jean-Jacques Dordain - Directeur général de l'ESA

L'Agence Spatiale Européenne (ESA) fête les 50 ans de cooperation spatiale en Europe. L'occasion pour nous de poser 5 questions à son directeur général, Monsieur Jean-Jacques Dordain.

Télé Satellite & Numérique : Considérez-vous que les européens connaissent suffisamment l’Agence Spatiale Européenne et ses objectifs ? Quelles actions comptez-vous entreprendre pour faire davantage parler de vous ?

Jean-Jacques Dordain : L'ESA a assurément gagné en notoriété depuis 10 ans. De récents sondages réalisés auprès de groupes homogènes de citoyens dans les différents États membres montrent que nos succès et nos résultats sont connus d’un nombre croissant de personnes. À mon sens, servir de mieux en mieux et de plus en plus est la voie la plus sûre pour se faire connaître. L’image de la lumière fossile issue du Big Bang, obtenue grâce au satellite Planck, a fait la une des journaux du monde entier. Plus récemment, le réveil de la sonde cométaire Rosetta a été un grand rendez-vous technique, mais aussi médiatique.
Le développement de nouveaux moyens de communication tels que le web et les différents réseaux sociaux a beaucoup contribué à améliorer la visibilité de l’Agence. Notre Département de la communication et les bureaux de communication des établissements de l’ESA en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie ou en Espagne ont largement investi dans l’utilisation de ces nouveaux médias. Nos productions télévisées sont elles aussi de plus en plus prisées et sont plus fréquemment reprises dans les journaux télévisés ou dans des documentaires. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour améliorer la communication, et il n’est pas facile de mener cette tâche dans 20 pays différents. Mais je le répète, nous comptons avant tout sur nos succès et nos résultats pour nous assurer une notoriété durable.

Télé Satellite & Numérique : L’ESA fête cette année ses 50 ans de coopération spatiale. Si vous deviez choisir parmi tous les faits accomplis au cours de ces cinq décennies, lequel à vos yeux serait-le plus marquant ? Et celui qui vous rêvez encore de mener à bien ?

Jean-Jacques Dordain : Il m’est difficile de privilégier une mission par rapport à une autre. Pendant les dernières 10 années, par exemple, toutes les missions de l'ESA ont été couronnées de succès, et j'ai eu l'immense privilège d'être le Directeur général d'une organisation qui détient un aussi beau palmarès. Je me contenterai d’évoquer Rosetta, notre mission la plus récente.
Le 20 Janvier, nos équipes du centre de contrôle de l'ESA-ESOC, en Allemagne, ont réussi à faire sortir la sonde spatiale Rosetta de son hibernation. Rosetta, notre "chasseur de comètes", avait été lancée en 2004 à bord d'une fusée Ariane 5 et évoluait en orbite depuis cette date. Après une période d’hibernation profonde de 31 mois, la sonde a été réveillée afin de poursuivre son long voyage vers sa destination, la comète Churyumov–Gerasimenko, qu’elle atteindra en août prochain. Elle effectuera alors ce qui est probablement l'une des missions scientifiques les plus spectaculaires jamais imaginées : escorter pendant quelques mois la comète pendant son voyage dans le Système solaire interne, à courte distance et à très grande vitesse, puis déposer un atterrisseur sur son noyau. En novembre, l’atterrisseur Philae, d’un poids de 100 kg, sera largué vers le noyau de la comète, un objet céleste de seulement 4 km de diamètre se déplaçant à une vitesse de 135 000 kilomètres par heure ! Après avoir atteint le noyau, Philae et ses instruments de bord se concentreront sur la composition et la structure de la matière du noyau de la comète ; ainsi une perceuse forera-t-elle le sous-sol sur plus de 20 cm pour recueillir des échantillons qui seront étudiés dans un mini-laboratoire installé à bord de l’atterrisseur. Ces données nous seront ensuite transmises sur Terre, relayées par l'engin spatial « mère », Rosetta, qui sera resté en orbite autour de la comète.
Parmi les missions que je rêve de mener à bien, je citerai seulement Sentinelle-1 car il s’agit de la prochaine mission que nous lancerons début avril. Sentinelle-1 ouvre le premier chapitre des missions dédiées aux services opérationnels pour l’environnement et la sécurité des citoyens, Copernicus, programme que nous menons en coopération avec l’UE.

Télé Satellite & Numérique : Vous avez présenté récemment l’agenda de l’ESA pour 2014. Au regard des différents retards liés à ce projet mais également à l’attente qu’il suscite, peut-on considérer le début du service Galileo, prévu pour la fin de l’année, comme le point culminant de cette année 2014 ?

Jean-Jacques Dordain : La navigation par satellite est un programme-phare de l’UE, avec Copernicus, et est devenue une partie importante de nos activités, par délégation de la Commission européenne. Alors que le système GPS américain et le système Glonass russe ont été développés à l'origine à des fins militaires, le système Galileo est civil et offrira un service garanti qui sera compatible avec le GPS et le Glonass. En effet, un récepteur pourra utiliser n'importe quel satellite, qu’il soit américain, russe ou européen. Galileo offrira une précision de localisation de 3 à 5 m, ce qui est aujourd’hui une performance inégalée.
Tout a commencé en 2005 avec le lancement de GIOVE-A, premier satellite test de Galileo qui est resté opérationnel jusqu'en 2012. L’aventure s’est poursuivie avec GIOVE-B (2008-2012), qui a démontré avec succès les technologies innovantes du système. Ensuite quatre satellites Galileo opérationnels ont été lancés en 2011 et 2012 et ont permis de valider le système en orbite. Il est prévu de lancer six satellites Galileo cette année, ce qui permettra de qualifier les premiers services dès la fin de cette année. Les performances mesurées des quatre satellites déjà en orbite, en termes de localisation et de synchronisation, sont déjà deux fois supérieures à que ce qui était demandé, et donc nettement meilleures que les performances actuelles du GPS. C'est un bon début et l’ouverture des premiers services - service ouvert, Recherche & Sauvetage, service public réglementé - est donc prévue à partir de début 2015.

Télé Satellite & Numérique : Le budget de l’E.S.A. pour cette année est d’un peu plus de 4 milliards. Est-ce suffisant pour mener à bien tous les projets ?

Jean-Jacques Dordain : Le budget de cette année va être suffisant pour couvrir les nombreuses activités que nous avons engagées et les nombreuses missions qui seront lancées ou achevées cette année : le premier lancement d’un satellite Sentinelle du programme Copernicus pour la surveillance globale de l'environnement et la sécurité; les six satellites de la constellation Galileo, lancés deux par deux par trois lanceurs Soyouz ; le lancement de l'ATV- 5 par Ariane 5 et celui du véhicule spatial IXV par le lanceur Vega ; les missions de nos astronautes Alexander Gerst et Samantha Cristoforetti à bord de la Station spatiale internationale ; l'arrivée de Rosetta sur sa comète cible... En outre, cette année est très particulière car nous allons célébrer le cinquantenaire de la coopération européenne dans le domaine spatial. Réussir toutes ces missions est déjà un grand défi ; l’autre défi se situe à la fin de l'année. En effet, début décembre, le Conseil de l’ESA se réunira au niveau ministériel, réunion une fois de plus hautement importante pour l'avenir de l'Europe spatiale, puisque les décisions demandées façonneront les dix années à venir, tant pour le secteur des lanceurs et l’exploitation de l'ISS, qu’en termes d’évolution de l'ESA, en particulier pour ce qui concerne ses relations avec l'UE.

Télé Satellite & Numérique : Quel regard portez-vous sur l’actualité spatiale, notamment sur la concurrence des autres agences spatiales ?

Jean-Jacques Dordain : Nous regardons avec un grand intérêt les nouveaux acteurs « privés » qui se positionnent dans le spatial sur la base d’un marché public garanti. Nous apprenons d'eux, mais eux aussi sont désireux de coopérer avec nous. En témoigne notamment la récente coopération engagée à la demande de la société californienne Sierra Nevada. Nous avons signé en janvier avec cette société un accord qui vise à identifier des possibilités de collaboration autour du projet de système de transport orbital Dream Chaser. Le Dream Chaser est un des candidats au développement des systèmes de transport privés pour assurer la rotation des équipages à bord de la Station spatiale internationale à partir de 2017. Cette navette sera capable de transporter des astronautes et du fret et de revenir sur Terre, de la même manière qu’un avion.
En ce qui concerne les autres agences spatiales, la coopération est croissante avec la NASA aux États-Unis, Roskosmos en Russie, la JAXA au Japon, la CNSA en Chine, etc.
Emblème de la coopération, la Station spatiale internationale nous apprend comment vivre et travailler ensemble dans l'espace sur de longues périodes. Elle est non seulement la réalisation technique la plus audacieuse et la plus complexe de l'histoire humaine, mais aussi l'un des exemples les plus réussis de l'histoire de la coopération entre les gouvernements de la planète. L'ISS est conçue pour mener des activités scientifiques et technologiques, mais sa plus grande contribution sera probablement les leçons qu'elle nous apporte en termes de coopération internationale.
Quand je pense à la coopération, je pense aussi à ExoMars, projet mené en coopération avec Roskosmos (Russie) et auquel la NASA apporte également sa contribution. Les deux missions ExoMars (en 2016 et 2018) vont explorer l'environnement martien et se concentrer en particulier sur des questions d'astrobiologie en essayant de déceler la présence de formes de vie. Grâce à ExoMars, nous serons en mesure de développer et de démontrer de nouvelles technologies d’exploration planétaire dans la perspective d'une mission de retour d'échantillons martiens, et à plus long terme de missions d'exploration humaine de la planète rouge.

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