BBC
 

Rédaction
23 janvier 2004

La BBC s'est livrée à une cinglante autocritique dans un programme spécial sur "l'affaire Kelly", fustigeant sa propre direction pour avoir défendu un reportage imparfait sur l'exagération de la menace irakienne par Downing Street. Une semaine avant la publication très attendue du rapport du juge Brian Hutton -consacré au suicide en juillet de l'expert en armements David Kelly-, la prestigieuse radio-télévision publique BBC semble bel et bien avoir pris les devants en décortiquant ses manquements mercredi soir, à l'occasion d'une émission de 90 minutes diffusée à l'heure de grande écoute. Au centre des attaques, le journaliste Andrew Gilligan, qui avait discrètement interviewé le scientifique du ministère de la Défense David Kelly. Se référant à cette source anonyme, le reporter avait affirmé sur les ondes de la BBC que Londres avait exagéré la menace des armes de destruction massive de Saddam Hussein avant la guerre. Une semaine après que son nom eut été dévoilé dans la presse, le scientifique s'était donné la mort, dans la nuit du 17 au 18 juillet, en se tailladant les veines du poignet gauche. L'émission phare d'investigation de la télévision BBC, "Panorama", a affirmé mercredi soir qu'Andrew Gilligan avait dans le passé été "réprimandé sévèrement" pour son choix imprudent de vocabulaire. Plus étonnant encore, elle s'en est pris au sommet de la BBC, aux rédacteurs en chef qui n'avaient pas pris le soin de vérifier les notes du journaliste prises en mai 2003, le jour où il rencontra l'expert David Kelly dans un hôtel londonien. "Le directeur général et ses cadres supérieurs ont fait un pari risqué sur un terrain mouvant", a accusé John Ware, le journaliste chevronné de la BBC qui a réalisé l'émission. Ses critiques visent directement le directeur général Greg Dyke et le directeur de l'information Richard Sambrook, mais aussi le président de la BBC Gavyn Davies en personne, soulignait jeudi le quotidien de centre-gauche Independent. L'absence d'une enquête approfondie, en interne, sur les affirmations du reportage qui a profondément ébranlé le gouvernement de Tony Blair pourrait faire partie des vives critiques attendues dans le rapport du juge Hutton publié mercredi prochain. La direction de la BBC a défendu publiquement le journaliste et affronté pendant des semaines l'ex-directeur de la communication du Premier ministre, Alastair Campbell. Ce dernier a présenté sa démission à Tony Blair en septembre dernier. Le Guardian (centre-gauche) évoquait jeudi "le spectacle d'une partie de la BBC déversant un grand seau de caca sur une autre partie de la BBC". "Il est difficile d'imaginer toute autre radio-télévision, ou bien d'autres institutions, permettant une telle auto-flagellation publique", ajoutait le quotidien. "La BBC a été montrée comme incompétente, Dyke et Sambrook comme des rédacteurs en chef qui n'ont pas vérifié correctement l'histoire de leur reporter, Gilligan comme un journaliste imparfait, le gouvernement comme cyniquement trompeur", détaillait l'éditorialiste du journal. Reste que sur le fond, l'enquête Hutton a déjà globalement confirmé les informations révélées par Andrew Gilligan: des responsables du renseignement avaient bien exprimé leur malaise face au rapport controversé sur l'armement irakien publié en septembre 2002 par le gouvernement. Ce document soutenait que le régime irakien pouvait déployer des armes de destruction massive (ADM) en 45 minutes. L'émission de mercredi soir, qui a surtout épinglé le gouvernement et les services de renseignement britanniques, a été l'occasion de diffuser un entretien inédit de David Kelly. Il y jugeait, en octobre 2002, que l'Irak aurait eu besoin de "jours ou de semaines" pour se servir de ses supposées ADM, encore introuvables à ce jour.

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