Piratage
 

Le piratage audiovisuel : symptôme d'un accès à la culture et au divertissement hors de prix

Frédéric SCHMITT
27 novembre 2024 à 12h00  
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Depuis quelques années, un phénomène frappe de plein fouet l'industrie audiovisuelle : la flambée des coûts de production et des taxes. Films et séries atteignent des budgets astronomiques, alimentés par des effets spéciaux spectaculaires, des tournages internationaux et surtout des cachets d'acteurs souvent exorbitants. Si cette surenchère nourrit un contenu toujours plus impressionnant, elle pèse lourdement sur les plateformes de streaming et, in fine, sur les abonnés.

Un miroir du football : quand les prix explosent, le public décroche

Le secteur audiovisuel n'est pas le seul à souffrir de cette inflation des coûts. Prenons l'exemple du football : les droits audiovisuels des grandes compétitions comme la Ligue des champions ou la Premier League atteignent des montants vertigineux. Résultat ? Les plateformes spécialisées répercutent ces coûts sur leurs abonnés. En France, suivre l'intégralité du sport nécessite plusieurs abonnements cumulant des prix mensuels dépassant les 50 €, parfois même 100 € pour les plus passionnés.

De la même manière, les plateformes de streaming comme Netflix, Disney+ ou Amazon Prime Video, autrefois abordables, gonflent leurs tarifs pour compenser des dépenses de production faramineuses et les taxes pour satisfaire le moindre lobby. C'est dans ce contexte que le piratage redevient une échappatoire.

Le piratage : une réponse brutale mais inévitable face à la brutalité des augmentations

Pour beaucoup, le piratage est devenu une solution par défaut. Avec des abonnements qui grimpent au-delà des 20 € par mois pour un seul service, l'accès légal à la culture et au divertissement devient un luxe. Sans oublier que multiplier les plateformes pour accéder à l'ensemble des contenus (séries, films, compétitions sportives) est tout simplement hors de portée pour de nombreux foyers. Ceux qui ne peuvent plus suivre ces hausses se tournent donc vers des alternatives illégales mais gratuites.

Ce retour du piratage n'est pas un hasard. Il s'agit d'un signal clair : lorsque les industries audiovisuelles et sportives oublient l'accessibilité économique, elles poussent une partie de leur public vers le darknet ou les sites de streaming illégal.

Le sandwich fiscal français : une cerise sur le gâteau empoisonné

En France, le prix des abonnements subit également l'effet d'une taxation en cascade. Entre TVA, taxes spécifiques au secteur audiovisuel et redevances diverses, les opérateurs doivent supporter des charges considérables, qu'ils répercutent évidemment sur les abonnés. Ce « sandwich fiscal » alourdit les factures et exacerbe l'écart entre l'offre légale et le piratage.

Netflix : du chevalier blanc au symbole d'une dérive

À ses débuts, Netflix incarnait une révolution. Avec des tarifs abordables, une bibliothèque généreuse et une interface intuitive, la plateforme avait réussi à réduire considérablement le piratage mondial. Entre 2015 et 2018, les torrents de films et séries perdaient du terrain face à une offre légale compétitive. Mais cette époque semble une nouvelle fois révolue.

Depuis quelques années, la multiplication des plateformes (Disney+, Amazon Prime, Max, Paramount+...) et l'explosion des prix ont inversé la tendance. Désormais, un abonnement Netflix seul ne suffit plus : il faut jongler entre plusieurs services, chacun demandant une contribution mensuelle salée. Résultat : en moins de cinq ans, le piratage a repris sa progression. Le modèle économique vertueux s'effondre, victime de sa fragmentation.

Quelle solution pour un accès équitable à la culture et au divertissement ?

L'industrie audiovisuelle et les diffuseurs sportifs doivent entendre le message. Proposer une offre légale, accessible et centralisée est essentiel pour endiguer le piratage. Réduire les coûts de production, limiter la surenchère des cachets et alléger les charges fiscales pourraient également participer à rendre la culture et le sport accessibles à tous.

En attendant, le piratage reste une échappatoire pour ceux qui ne peuvent plus suivre la montée des prix. Il ne s'agit pas de le justifier, mais de comprendre qu'il reflète une crise d'accessibilité. Si les géants du divertissement continuent sur cette voie, ils risquent de perdre bien plus qu'un abonnement : leur lien avec le public, et ce lien est plus facile et rapide à perdre qu'à gagner.

L'histoire du pain et des jeux

Si l'histoire nous a appris une chose, c'est que pour tenir un peuple en équilibre, il faut lui offrir du pain et des jeux. Dans notre époque moderne, les divertissements ont remplacé les gladiateurs, et les plateformes de streaming sont devenues les arènes numériques où se joue le spectacle. Mais quand le prix de l'entrée devient exorbitant, les gradins se vident et les spectateurs trouvent d'autres moyens de voir le spectacle.

À force de rendre l'accès à la culture et au divertissement inaccessible, on risque de rompre un fragile équilibre. Car un peuple privé de son échappatoire se rebelle. Et à ce rythme, le vin non plus ne suffira plus à calmer les esprits. L'industrie et les décideurs feraient bien de s'en souvenir : si on continue à serrer l'étau, tout le monde finira étouffé.

19 commentaires

C
Captain Flème - Il y a 15 jours
C'est clair que les prix des abonnements sont devenus fous. Entre le foot, les séries, les films, faut être riche pour tout suivre. Pas étonnant que le piratage revienne en force. Faudrait que les gros du secteur se bougent pour rendre la culture accessible à tous. Sinon, ils vont perdre plus que des abonnés, ils vont perdre le respect du public.
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gouik - Il y a 15 jours
ça commence par un prix d'appel, ça augmente régulièrement le prix, ça ajoute de la pub pour faire payer moins cher, si il y a la la pub c'est vous le produit donc ça devrait être gratuit.
Z
Zorrin - Il y a 15 jours
Très bon poste Monsieur Frederic.
Seul point qui a mon avis est caché derrière de bons sentiments que sont le sport et la culture.
Nous parlons ici d'industries.
Mettre en avant les salaires des acteurs et les taxes n'est pas juste a mon avis.
Les dirigents et surtout les actionnaires en demandent toujours plus aussi.
c'est du business avant tout et pas des plus clean a mon avis.
Je crois qu'il s'agit encore d'une dérive globale aux profits le plus vite possible sans vision ni plan.
Juste faire du pognon.
Frédéric Schmitt - Il y a 15 jours
Il ne faut pas oublier que si les acteurs et les taxeurs ne sont pas (ou peu) impactés par le piratage. Les actionnaires et les dirigeants le sont. Au final, on casse un cercle vertueux. Le consommateur reste une vache à lait a qui ont demande toujours plus avant qu'elle soit bonne pour l'abattoir.
P
PORTO - Il y a 15 jours
C'est vrai, les prix sont trop hauts. Pas facile pour tout le monde.
M
Maxdumoun - Il y a 15 jours
Pirater en prenant comme excuse que c’est trop cher n’est pas une bonne excuse quand il existe chez un même fournisseur les mêmes offres à l’ancien prix mais avec de la publicité.

C’est une histoire de morale et rien d’autre, pirater c’est comme aller chez un receleur pour se fournir en matériel qui est toujours volé.

En plus payer des pirates, c'est alimenter les réseaux mafieux et de narcos, ces mêmes qui viendront vous racketter immanquablement un jour ou l’autre pour vous assurer une protection très illusoire.

Il vaut mieux laisser le système s’écrouler en se limitant ( boycott).
Frédéric Schmitt - Il y a 15 jours
* TOC TOC TOC*

- Qui est-ce ?
- Donnez moi 50% de vos revenus !
- Pour quoi faire ?
- Pour vous protéger !
- Me protéger de quoi ?
- De ce que je vais vous faire si vous ne me donnez pas 50% de vos revenus !

(s'applique à plusieurs activités)
M
Maxdumoun - Il y a 15 jours
Vas donc vivre à Naples, tu comprendras ce que je veux dire.

Sinon j’ai bien compris ce que tu viens juste d’écrire.
g
gouik - Il y a 15 jours
S'il faut payer pour se taper de la pub c'est justement que ça devrait être gratuit car c'est vous le produit, pour moi je ne considère que si je m'abonne c'est pour en pas en avoir, donc ces abonnements n'existent pas dans mon esprit, pour le boycott, je vous rejoins, je le pratique avec le groupe canal.
g
gouik - Il y a 15 jours
Pas faux aussi sur ce point, donner des sommes d'argent pour un contenu piraté c'est hors de question.
Frédéric Schmitt - Il y a 15 jours
Le piratage c'est gratuit. C'est une forme d'idéologie. Une sorte d'esprit "Robin des bois". La plupart des pirates gardent les trucs pour eux ou partagent en petit comité fermé.

Les pirates qui vendent sont des receleurs. Et ceux qui diffusent gratuitement avec des pubs ajoutées sont aussi des receleurs. Et ceux qui achètent aux receleurs se rendent complices. Un article sur ce sujet est prévu pour la semaine prochaine.
M
Maxdumoun - Il y a 15 jours
Le piratage dont je parle est essentiellement une industrie à grande échelle et ça se paye.
Commentaire modifié le jeudi 28 novembre 2024 à 12:31.
M
Maxdumoun - Il y a 15 jours
D’accord on a pas à payer pour voir de la pub. Mais si on ne peut pas se passer du produit, c’est quand même mieux moralement.
D
Degresy - Il y a 14 jours
Et si on la faisait comme à l'ancien temps : faire de la lecture de livres, c'est gratuit et ça instruit.. !
Frédéric Schmitt - Il y a 14 jours
Les livres sont piratés (oui oui), même les sites web gratuits le sont (oui oui ! les gens retirent les quelques pubs qu'on y met pour payer nos frais).
Même le magazine Télé Satellite était copié et distribué gratuitement sur le Net, en PDF.

Si quelque chose peut être piraté sans grands risques, depuis chez soi, ça le sera, même si c'est gratuit ou pas cher du tout. Je vois des ebook piratés qui sont vendus légalement moins de 3 euros.
M
Maxdumoun - Il y a 14 jours
Dans l'ancien temps, on faisait justice soi même, puis il y a eu les seigneurs qui ont protégé les plus faibles tout en les exploitant. Et puis il y a eu les états et les nations.
L’état assurait le maintien de l’ordre et la nation faisait l’appartenance au pays.
Aujourd'hui l’état n’assure plus l’ordre, quant à la nation, elle est devenue une vue de l’esprit.

Donc si on fait comme dans l’ancien temps et ça risque d’arriver sous peu, la loi du plus fort sera encore une fois la meilleure.
Il s’agit donc individuellement puis collectivement d’être les plus forts, et c’est mal barré pour l’instant.
Pour bien comprendre où l’on va, il faut se plonger dans les bouquins d’histoire avant que les wokistes les détruisent.
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2222.ch - Il y a 13 jours
Article et commentaires très intéressants. Oui, il pourrait y avoir parfois abus des détenteurs des droits d'auteur.
Oui, la multiplication des plates-formes crée des frustrations car on ne peut pas s'abonner à tout.
Idem pour les prix qui explosent: le prix de l'offre Disney a doublé en 5 ans. YouTube Premium famille a vu ses prix massivement augmenter récemment (en Suisse de 24 à 34 francs).
Toujours en Suisse, mais c'est révélateur d'un tout, l'offre de TF1+ coûte environ 83 Euros (contre 60€ en France) et une partie importante des programmes est inaccessible pour raison de droits d'auteurs.
À force de considérer les consommateurs comme des segments de marché à optimiser, on finit par dégoûter les gens honnêtes qui paient cher pour une offre limitée, bridée, fragmentée.
C'est un peu comme la TVA ou les impôts: à partir d'un certain niveau jugé confiscatoire, on encourage mécaniquement la fraude.

La France possède un acteur intéressant, à savoir Canal, qui agit souvent comme agrégateur de contenus, ce qui est favorable à l'intérêt de l'usager final. Mais il ne faudrait pas trop d'offres concurrentes. Ou alors, s'abonner alternativement un mois à Canal, un mois à Prime Video, un mois à Netflix, et recommencer.
Car un seul abonné à une offre très riche ne va de toutes manières pas en faire le tour, ce qui justifierait un concept de rabais importants pour plusieurs options au sein d'un fournisseur: plus on prend de compléments, moins on a de temps pour aller au fond de chaque offre.

Et encore... l'offre de Canal en Suisse est amputée de chaînes comme Paris Première: pas de Grosses Têtes TV pour les Helvètes, même ceux qui veulent payer. On voudrait pousser les amateurs vers des solutions "différentes" qu'on ne pourrait pas trouver mieux.

La lutte contre le piratage passe donc par une prise en considération de tous ces aspects mais au vu de la dureté extrême de certains acteurs du marchés, on pourrait quelque part se réjouir du fait que certains consommateurs recherchent des solutions alternatives, comme une réponse à des excès d'un marché parfois trop gourmand, prêt à aller au-delà du point de rupture pour espérer augmenter les bénéfices.
Commentaire modifié le samedi 30 novembre 2024 à 10:54.
M
Maxdumoun - Il y a 13 jours
Je pratique la rotation des abonnements, un seul abonnement et pas plus, mais le sport payant ne m’intéresse plus.
La chronologie des médias en France, au nom de l’exception culturelle, joue aussi énormément dans le piratage des films de cinéma.
Commentaire modifié le samedi 30 novembre 2024 à 11:12.

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